Lesley regarda autour d’elle, et souris. Elle était vraiment captivée par ce que l’homme qui était debout sur l’estrade expliquait, mais, à quelques exceptions près, elle était la seule. Pas qu’il explique mal, au contraire. Le problème venait plus probablement plus de la capacité des élèves à suivre. Ils manquaient d’intelligence, de puissance de calcule et d'esprit d’analyse. Pitoyable. Les explications étaient beaucoup trop techniques et détaillées, et la plupart des étudiants avaient été largués au bout de dix petites minutes, et dormaient profondément, ou dessinaient dans la marge de leur bloc depuis.

Elle aussi, les yeux mi-clos, la tête appuyée sur sa main, faisait semblant de somnoler. Mais ce n’était qu’une façade, pour se fondre dans la masse. Elle ne voulait pas que les autres se rendent compte qu’elle était capable de suivre. Ses yeux brillaient, et elle hochait la tête régulièrement. Et elle voyait bien que l’homme qui parlait, M. Euphaïmachin, ne s’y trompait pas.

Elle le suivait des yeux, alors qu’il continuait ses explications. Il arrivait petit à petit à la conclusion, et elle ne voyait pour l’instant aucune faille dans ce qu’il expliquait. Ça faisait longtemps que quelqu’un ne l’avait pas autant intéressé. Son raisonnement était à la fois assez complexe pour parer à toute éventualité, mais pas inutilement compliqué. Il était efficace, sans fioritures. Elle avait hâte de savoir comment il allait conclure ça.

Elle l'observa un instant. Son pas était précis, mesuré. Il ne faisait pas de mouvements inutiles. Il semblait être comme ce qu'il expliquait, orienté vers les solutions, sans se soucier des moyens.

Tout à coup, la cloche sonna, et tous les élèves se levèrent d’une traite, à part Lesley. Ils se ruèrent vers la porte, pressé de sortir de l’amphi et d’avoir du temps libre. La blonde resta assise. Elle voulait entendre la fin de l'explication. Quand le fracas des chaises qu’on tire  et des portes qu’on ouvre se fût atténué, elle se rendit compte qu’elle était la seule encore assise dans la salle. Elle se leva lentement, attrapa son sac, s’avança et s’assit sur la chaise placée juste devant M. Euphaïmachin. Elle le regarda un instant, attendant qu’il reprenne. Serait-ce une lueur de défi qu'on pouvait déceler dans le regard qu'elle lui jeta ?

Lesley eut une moue déçue. Quelle conclusion basique. Elle s’attendait à tellement plus développé et complexe que… ça. Elle se dit que, pour avoir conclu si rapidement, M. Euphaïmachin devait avoir quelque chose derrière la tête. Elle l’observa quelques instants, essayant de deviner quelle était l’idée en question. Mais ses yeux étaient froids, inexpressifs, et elle n’en tira rien.

Elle se dit que ça faisait longtemps qu’elle n’avait pas vu des yeux comme ceux-là. Ils faisaient un écran opaque sur ce qu’il pensait. Les siens leur ressemblerait probablement, si elle laissait sa vrai personnalité parler. Elle haussa les épaules à cette pensée. Quoi qu’il en soit, il ne voulait clairement pas qu’elle sache ce qu’il pensait.

- J’étudie pour devenir gardienne, monsieur.

Elle n’en dit pas plus. Il avait probablement compris que la stratégie était une de ses matières fortes et qu’elle comptait se focaliser là-dessus pendant les années qui allaient suivre. Si ce n’avait pas été le cas, elle n’aurait pas pris la peine de suivre attentivement cette intervention, ni peut-être même d’y assister.

-  Et vous, vous faites partie de quel corps ? Je ne m’en souviens plus…

Elle se mordilla la lèvre. Elle ne comptait pas le laisser avoir le dessus dans cette discussion. Elle n’était pas juste une élève lambda, et elle ne voulait surtout pas qu’il croit qu’elle allait le laisser user de l’autorité que, théoriquement, il avait sur elle. Elle ne parlerait que d’égal à égal.

En vérité, elle savait très bien qu’il était éclaireur. Pour être honnête, elle n’aimait pas les éclaireurs. Ce n’était, selon elle, qu’une bande de têtes brûlées qui gambadait dans les campagnes pour avoir l’impression d’être utile. Mais elle ne comptait pas dévoiler ce sentiment à M. EuphaÏmachin. Son visage resta neutre.

Puis elle se pencha légèrement en avant, et fit son meilleur sourire angélique.

-  Au passage, vous vous appelez comment, déjà ?

Elle savait que c'était idiot de provoquer celui qui était, en soi, son supérieur. Mais, sans savoir pourquoi, cette fois-ci, elle avait envie de tester les limites. Et puis, techniquement, elle ne se souvenait plus de son nom, donc la question avait aussi un côté pratique. Elle était à peu près sûre qu'il ne s'appelait pas M. Euphaïmachin.

Elle lui jeta un coup d’œil, guettant sa réaction. Elle était curieuse. Allait-il s'énerver, ou juste laisser filer ? Elle n'avait pas encore assez discuté avec lui pour le prédire. Mais quelque chose lui disait que sa réaction ne serait pas placide. Elle sourit à cette pensée.

Lesley fronça les sourcils. Il paraissait surpris de sa réponse. Il n'aimait pas les gardiens ? Ou peut-être qu'il avait juste une estime démesurée pour son corps d'arme ? Elle penchait plutôt pour la première option. Il ne fallait pas être un génie pour en déduire qu'il était au moins fière, voire un petit peu arrogant sur les bords. Elle nota ça dans un coin de son esprit. Voilà qui lui serait probablement utile plus tard...

Elle avait toujours eu un peu de mal avec les noms. Raison pour laquelle elle donnait des surnoms à un peu tout le monde. Elle ne les utilisait presque jamais pour parler aux personnes qu'ils désignaient, mais ils l'aidaient à garder le fil des personnalités. Le plus souvent, c'était des animaux. Elle appelait Fiora Ame par exemple, ou "le manchot" à cause de son aisance (ou absence d'aisance) sur la glace, ou "la colombe" pour son côté totalement idéaliste et un peu naïf. Pourtant, elle se dit qu'elle n'avait pas encore assez cerné la personnalité de M. Euphaïmachin pour lui trouver un animal qui lui irait vraiment bien.

Elle se concentra donc, pour essayer de retenir son nom en entier. Elle le répéta mentalement pour essayer de mieux s'en souvenir.
"Euphaïstace, Euphastaïce, Eustaphaïce, Eu... quoi déjà ?"

Bon... Elle allait lui trouver un surnom.

-  Lelsey

Elle se présenta presque sans y faire attention. Ses pensées étaient déjà dirigées vers le surnom.

Elle réfléchit un instant, regroupant tout ce qu'elle savait ou avait déduit de la personnalité de... lui. Il s'était montré précis, efficace et droit au but. Il n'était pas impatient. Plutôt méthodique et minutieux, avec le côté légèrement arrogant qu’elle avait remarqué juste avant. Il y avait aussi eu un côté sanguin dans son explication, un peu comme un prédateur qui referme lentement sa mâchoire sur sa proie, tout en se délectant parce qu'elle ne se sent même pas en danger, et qu'elle ne sait pas ce qu'il l'attend.

Un peu comme...

-  Un scorpion !

Venimeux, qui s’enfouissait dans le sable pour mieux piéger sa proie, et qui était, surtout, toujours en quête d'une nouvelle proie à piéger.

Elle se rendit compte qu’elle avait parlé tout haut avec un temps de retard.Elle n'avait pas parlé fort, certes, mais ils n'étaient pas très loin, et il n'y avait presque aucune chance pour qu'il ne l'ait pas entendu. Elle soupira, mais ne rougit pas. Elle n'était pas du genre à être gênée, et encore moins par ses propres actes. Cependant, elle devait maintenant s'expliquer et elle n'avait pas d'autre choix que de lui dévoiler un petit peu ce qui se passait dans sa tête, et ça, elle n’y tenait pas exactement.

-  Vous me faites penser à un scorpion

Elle n’en ajouta pas plus. Elle était curieuse de savoir comment il réagirait. Est-ce qu’il ferait le lien avec sa personnalité ou pas ? Est-ce qu’il comprendrait qu’elle faisait ça avec un peu tout le monde ? Qu’est-ce qu’il déduirait d’autre ? Son petit sourire en coin et la lueur de défi refirent leur apparition sans même qu’elle s’en rendent compte.

Lesley prit une profonde inspiration. Elle se savait pas exactement pourquoi elle se comportait comme ça aujourd’hui. D’habitude, le “masque de personnalité” qu’elle portait était beaucoup plus doux, plus amical et timide. Il n'oserait jamais dire le quart de ce qu’elle avait dit au scorpion. Mais… C’était comme si elle avait inconsciemment senti qu’il réagirait mieux si elle était plus proche de sa vrai personnalité, avec une touche de sarcasme et d’irrespect pour pimenter le tout. Elle avait régulièrement ce genre d’intuitions sur ce genre de sujet. Au début, elle ne les avait pas pris en compte, mais elle avait appris à se faire confiance, et pas que à ses calcules. En tout cas, qu’elle l’ait senti ou pas, il semblait clairement intrigué par elle.

Presque trop intrigué au goût de la jeune femme.

Il y avait longtemps qu’elle n’avait pas croisé qui que ce soit qui serait aussi capable, et probable, de voire derrière son masque. Par le passé, quand elle avait croisé des gens comme ça, elle les avait fui comme la peste. Ç’aurait pu être considéré comme de la lâcheté, mais elle voyait plus ça comme de la protection, de la prudence. Elle ne voulait pas perdre toute son avancée dans ses études et dans le réseau qu’elle avait déjà commencé à se tisser chez les gardiens à cause d'une erreur dans une simple discussion.

Elle reporta son attention sur le moment présent. Le fait était qu’elle ne pouvait pas partir et se protéger avant la fin de la conversation. Et, tant qu’elle était là, elle ne comptait bizarrement pas l'écouter, du moins pas intentionnellement. Elle était bien plus curieuse, et voulait bien plus cerner le scorpion entièrement que ce qu’elle voulait bien admettre.

Elle fronça les sourcils, légèrement frustrée. Avec la manière dont il avait posé sa question, il ne lui laissait pas d’autre solution que de lui répondre directement. Retourner la question, ou répondre par le sarcasme uniquement était impossible. Elle n'aimait pas quand on lui laissait si peu de marge de manœuvre.

-  Un pressentiment, je suppose… La manière dont vous parlez, le côté arrogant et un peu sanguinaire… Entres autres. Ça m’a fait pensé à un scorpion. Mais vous n’avez pas l’air d’accord. Quel est l’animal que vous vous attribueriez, si ce n’est pas le scorpion ?

Au moins à moitié faux. Il n’y avait, pour le coup, pas eu de pressentiment du tout. De la simple réflexion. Elle n’aurait pas dû préciser qu’elle avait plus de deux raisons. Mais, pour une raison x ou y, elle n’arrivait pas à jouer les idiotes. Comme si elle ne voulait pas le décevoir. Là où elle n'avait ni de comptes à lui rendre, ni de raisons de vouloir l'impressionner. Elle avait aussi joué la carte de la provoque, en mentionnant l’arrogance, mais c’était plus pour la forme, et il s’en rendrait probablement compte.

Enfin, elle avait relevé son désaccord. Il était assez évident, et il n’essayait visiblement pas de le cacher. Mais elle savait très bien que c’était probablement plus par rapport aux surnoms d'animaux en général que par rapport au scorpion en particulier. Elle voulait juste qu’il se penche sur le système, plutôt que de partir du principe qu’il était inefficace. Et… elle voulait qu’il parle un peu. Elle en avait beaucoup dévoilé, maintenant c’était à son tour à lui de lui dire comment il pensait. Il n'aurait pas d'autre choix que de lui en dire un peu plus sur son caractère. Et elle attendait ça avec un soupçon d'impatience.

Lesley pianota un instant sur la table devant elle. Un léopard… Pourquoi pas. C’est vrai que le côté félin tapis dans les hautes herbes semblait approprié. Mais le venin allait tout de même manquer, selon elle. De plus, selon elle, le léopard mettait un peu trop d’effort sur la forme. Tant pis. Elle remplaça scorpion par léopard dans son esprit. Elle utiliserait peut-être parfois le scorpion, mais bon.

Pourquoi des animaux ? Très simple. Ils étaient parlants et facils à retenir. Ça lui évitait de faire des gaffes en oubliant un pan d’une personnalité. Il y avait bien une raison pour laquelle tout le monde était impressionné par sa capacité à toujours dire ce qu’il fallait et par son pouvoir de persuasion. Ça lui permettait aussi, quand elle en avait besoin, de savoir où frapper pour faire mal, ou pour tuer. Ils lui garantissaient précision et efficacité dans toutes les situations. Elle connaissait trop de gens pour se souvenir de chacun sans analogies. Entres autres. Mais elle ne comptait pas dire le quart de tout ça au… léopard-scorpion.

-  Oh. Vous savez, ça marche aussi avec des plantes. Si vous préférez, je peux vous en trouver une.

Elle aimait vraiment se foutre de lui. Son sourire s’agrandit. Répondre à côté de ce qu’il attendait, en plus de ne pas toujours être facil, était intéressant. Ça faisait longtemps qu’elle n’avait pas eu une discussion où elle avait eu tant de mal à garder son masque. Déjà, elle était à peu près certaine qu’il avait identifié la présence de ce masque, ce qui n’était pas à la portée de tout le monde. Elle jura intérieurement. Elle n'aurait pas dû rester, et maintenant, elle était à peu près sûre qu'il allait finir par percer son masque une bonne fois pour toute, au bout d'un moment. Mais elle ne pouvait pas partir. Il lui fallait donc absolument remettre la discussion sur un sujet où se serait lui qui devrait se dévoiler.

-  Et vous, à quoi me compareriez-vous ? Plante ou animal, comme vous voulez.

Voilà qui allait être très intéressant Il allait, s’il lui répondait directement, lui apporter beaucoup d’informations, d’abord sur l’image qu’elle donnait, et ensuite sur sa capacité à voir à travers.Elle était curieuse de savoir comment il avait interprété la discussion jusqu’à maintenant. Ce qu’il avait déduit ou non… Tout ça en restant sur un terrain où elle avait plus d'expérience, et qu’elle connaissait mieux que lui. Elle avait le dessus, même si elle n'avait pas encore utilisé son avantage du terrain.

Techniquement, il pourrait aussi, comme elle venait de le faire, répondre à côté ou par la dérision, mais elle ne le voyait pas trop faire ça. Si le scorpion n’apportait pas d’importance au chemin, tant que le but était atteint, le léopard, lui, apportait trop d’importance à son image pour se ridiculiser, même un petit peu.

Lesley serra son poing sous la table. Le … ! Elle se retint de jurer. Il avait clairement compris où frapper, elle pouvait au moins lui reconnaître ça. Il voulait qu'elle sache qu'il était entrain de la battre, au moins sur ce plan-là. En plus d’avoir clairement compris qu’elle avait un masque, il tenait à le lui faire savoir. Comme si elle ne le savait pas déjà. Encore le côté arrogant qui ressortait. Elle nota ça dans un coin de son esprit. Elle était à peu près sûre que ça lui serait utile plus tard.

Mais à part ça, sa réponse était, somme toute,  assez décevante. Certes, le caméléon se déguise, pour tromper autant ses ennemis que ses amis. Mais à part ça, ça n’avait pas grand chose à voir avec sa personnalité. Déjà, le caméléon n’est pas un animal actif. Il reste sur une branche toute la journée à gober des mouches. Même si elle n’était pas du genre hyperactif, la paresse n’avait jamais été un de ses penchants.

Ensuite, il était solitaire. Ce n’était pas un animal de groupe. Hors, elle n’était presque jamais seule. Pas qu’elle recherche la compagnie des autres, ou qu’elle l’aime, mais c’était un outil utile, et dont elle se servait souvent. Elle ne fuyait pas la compagnie, elle s’en servait.

Ce qui menait directement au prochain point. Le caméléon est idiot. Il se cache, mais par faiblesse, pas par intelligence. Il est incapable de faire autre chose que de dormir et de manger. Elle ne pensait pas se tromper en affirmant que la raison pour laquelle le scorpion-léopard lui prêtait autant d’attention était parce qu’il la trouvait intelligente.

Et enfin, plus que tout, le caméléon est une proie. Et elle n’en était pas une. En tout cas, elle ne serait pas celle du scorpion.

-  Je  ne m’assimile pas moi-même à un animal. Je ne me considère pas comme assez objective, c’est tout.

Elle lui fit un petit sourire angélique. Il n’aurait pas plus d’informations que ça.

-  Mais pour vous, la question d’objectivité ne s’est pas posée… si ?

Son sourire disparut légèrement. En disant ça, elle lui pointait ce qui, selon elle, était probablement une de ses plus grosses faiblesses. L’arrogance. Au moins quelques fois, il était passé à côté de certaines pistes, ou les avait ignorées, elle n'en savait rien, par pure fierté. Il n'avait rien loupé d’essentiel cette fois-ci, mais ce n'était qu'une question de temps...

Les échecs ? Lesley réfléchit un instant. Assez surprenement, elle n’y avait jamais beaucoup joué. Pourtant, elle savait que c’était un jeu de stratégie et qu’elle devrait bien aimer, mais elle n’avait jamais été attirée par l’échiquier. Les fois où elle avait joué, elle avait trouvé ça barbant et trop évident. Peut-être qu’elle n’avait simplement pas joué contre les bonnes personnes.

Elle pensa un instant à proposer une partie au léopard, puis renonça. Ce ne serait interressant pour aucun d’eux. Il la battrait trop facilement, et pas à cause de d’une stratégie supérieure, mais plutôt à cause de son simple manque d’expérience.

-  J’y réfléchirais… Mais je ne sais pas trop pourquoi, mais les échecs ne m’ont jamais vraiment attirés, et je ne pense pas que ça change bientôt.

En réalité, elle savait très bien pourquoi. Elle n’aimait pas les échecs parce qu’elle trouvait ça trop loin de la réalité, et ce sur différents points. D’abord, ils se jouaient à deux. Ça pouvait paraître anodin, mais dans une bataille quelle qu’elle soit, il n’y avait que rarement deux camps. Ensuite, c’était trop franc. Sur l’échiquier, pas de bluff, pas de mensonge, pas de manipulation. On ne pouvait pas mentir sur ses ressources ou se tromper sur celles des autres. Or, savoir faire face ou se servir de ça pouvait être clé dans une stratégie. Et enfin, l’égalité. En réalité, on ne partait jamais avec le même nombre de pions chacun. Il y avait toujours des avantages du terrain, du nombre ou autre.

Elle sourit légèrement. En fait, les échecs étaient trop académiques pour elle.

-  Je ne crois pas avoir de question, non...

Au moins, il ne semblait plus chercher à tout prix à enlever son masque. Elle se détendit imperceptiblement, et changea de position. Ce faisant, elle jeta un coup d'oeil à sa montre et fronça les sourcils. Elle n’y avait pas pensé, mais elle devrait être à son prochain cours à cette heure-ci. Mais tout compte fait, elle préférait rester ici et discuter avec le léopard.

Elle sourit légèrement. Ça faisait très longtemps qu’elle n’avait pas raté de cours comme ça. Depuis la première probablement. Un garçon était venu la trouver pendant la pause pour lui demandait qui était cet “Alexy”. Il n’était pas méchant, juste curieux, et devait avoir entendu parler de lui d’une manière ou d’une autre. Mais Lesley avait juste plus ou moins fui. Elle était allée, dans un élan de nostalgie, s'asseoir sur le muret sur lequel elle et Alexy se tennaient avant que celui-ci ne partent à l’extérieur. Pour éviter que les gardiens la reconnaissent, elle avait mis un masque. Cheveux assez longs, bruns foncés, sa taille… De quoi passer inaperçue.

Elle ne s’en rendit pas compte, mais en repensant à se masque aussi précisément, elle le fit apparaître malgré elle. Ça ne dura qu’une fraction de seconde, mais il n’y avait presque aucune chance pour que le léopard ne l’ai pas vu.

Lesley commença par foncer les sourcils. Pourquoi est-ce qu’il lui parlait de son pouvoir ? Comment le connaissait-il ? Elle repassa rapidement la conversation dans sa tête, mais elle était à peu près certaine de ne pas avoire parlé de masques. Quand elle se rendit compte qu’elle avait fait apparaître le masque auquel elle pensait, elle jura intérieurement, en prenant soin de ne pas montrer son agacement. Elle détestait faire des erreurs dans ce style, surtout devant lui… Quand elle réalisa ce qu’elle était entrain de penser, elle jura mentalement à nouveau. Depuis quand est-ce qu’elle en avait quelque chose à faire de l’impression qu’elle faisait à un presque inconnu ? Ça devait être parce qu’il pourrait probablement lui être utile dans sa carrière.

Elle eut tout à coup un petit rictus moqueur. Apparemment, elle n’était pas la seule à faire des erreurs, et à s’efforcer de les dissimuler tout en jurant intérieurement parce qu’elle ne voulait absolument pas en faire maintenant. Le sourire involontaire du léopard ne lui avait pas échappé, et elle s’en amusait au plus haut point.

Télékinésie ? Utile certes, mais elle ne l’enviait pas du tout. C’était si peu… subtil. On lance juste des objets à ses adversaires en attendant qu’ils ratent une esquive. On pouvait toujours y injecter un petit peu de stratégie, mais le fond restait le même.

- Bien sûre que je peux le faire à volonté, sinon ce serait particulièrement inutile, non ?

Elle ne mentionna pas le fait que ce n’était pas toujours volontaire, notamment quelques instants plus tard. Elle accompagna plutôt son explication d’une petite démonstration. Elle se dit que trois masque seraient suffisant pour montrer l’étendue de son pouvoir sans trop en révéler non plus.

Elle commença par un des masques qu’elle utilisait le moins. Trop voyant, il attirait trop l’attention pour lui être vraiment utile. 1m95, tout en muscles, cheveux bruns courts et à peu près son âge. Ce masque était à peu près son opposé physique, et lui servait surtout pour les situations où elle devait montrer ce dont elle était capable.

Le deuxième était celui d’une vieille femme, 90 ans environ. Cheveux gris, dos voûté, peau fripée… Il était pratique pour se fondre dans la foule où mener les autres à la sous-estimer. Néanmoins, elle en avait d’autres qui faisaient ça encore mieux, les gens ayant un peu trop l’habitude de faire attention aux personnes âgées pour les ménager.

Le dernier était celui qui perturbait le plus les gens, surtout ceux qui la connaissaient depuis longtemps. C’était, eh bien… elle, au moment où son pouvoir s’était manifesté pour la première fois. Son premier masque était une copie d’elle même, à 9 ans et demi. Son visage n’avait pas beaucoup changé, et on la reconnaissait clairement, mais il y avait un détail qui déstabilisait souvent les gens. Ça datait du temps où Alexy était encore là et, par conséquent, ses cheveux n’étaient pas blancs mais roux flamboyants.

Quand elle eut fini, elle reprit sa forme normale, elle se pencha légèrement en avant et reprit son sérieux.

- Et vous, comment utilisez-vous votre télékinésie pendant un combat ? Vous utilisez des techniques particulières ?

Elle était assez curieuse de savoir de quelle manière il tirait profit de son pouvoir. L’avait-il laissé sous forme de force brute, ou l’utilisait-il de manière plus détournée, plus fourbe ? Pouvait-il faire lévite les gens ? Avait-il des armes dont il se servait avec son pouvoir ? Elle voulait savoir comment il repoussait les limites de son pouvoir pendant un combat.

Lesley acquiesça légèrement. Elle ne trouvait pas grand chose à redire à cela.

Elle fronça légèrement les sourcils quand il lui demanda pourquoi elle voulait devenir une gardienne. Elle avait comme le pressentiment que, s’il ne les méprisait pas, il ne les éstimait pas non plus. Elle ne lui en voulait pas vraiment, parce qu’elle avait tendance à trouver minable les compétences des militaires en général et des gardiens en particulier, mais elle ne connaissait plus d’un qui se serait offusqué.

Elle hésita un instant quant à quoi lui répondre. Allait-elle lui parler d’Alexy ? Non, aucune chance. Elle n’en parlait même pas aux gens qu’elle connaissait depuis longtemps. Elle se demandait plutôt si elle devait laisser entendre qu’il y avait une raison profonde à son choix ou si elle devait juste servir une réponse lambda et sans interêt du style “ils sont cools” ou “c’est les meilleurs”.

- Disons simplement que j’ai… une dette envers quelqu’un.

Elle tenta de s’en empêcher mais elle serra tout de même un peu plus fort la veste d’Alexy autour d’elle. Elle espérait qu’il n’avait pas remarqué, ou qu’au moins il aurait la grâce de ne pas relever.

C’était déjà beaucoup d’informations, par rapport à ce qu’elle servait d’habitude. Elle se contentait souvent d’un simple “j’ai mes raisons”, quand elle se donnait la peine d’essayer. Elle savait très bien que ce qu’elle avait dit était difficilement bien interprétable, mais c’était tout de même beaucoup. Elle eut un petit sourire en coin en pensant aux motivations tordues auxquelles on pouvait songer en entendant ça.

- Et vous ? Pourquoi les éclaireurs ?

Certes, elle voulait détourner l’attention, mais elle était surtout curieuse. Il était possible que son choix ne découle que de la possibilité à élaborer des stratégies dans ce corps de l’armée, mais ce n’était pas certain. Elle savait très bien qu’il n’y avait que peu de chances pour qu’il lui réponde de manière complète s’il y avait vraiment une raison aussi personnelle, mais… on ne sait jamais.

Elle acquiessa. Tuer des monstres, pas protéger des hommes. D’une certaine manière, ça ne la surprenait pas vraiment. Le léopard est un animal solitaire, et qui ne ressent pas de réel besoin de protéger les siens.

Lesley eut un sourire en coin, un peu surprise cette fois. Elle s’attendait à beaucoup de choses de la part du léopard, mais absolument pas à ça. Lui proposer de l’écouter si elle avait besoin de parler d’Alexy ? Elle ne savait pas trop pourquoi, mais elle n’imaginait pas trop bien le léopard comme quelqu’un de bon pour “écouter”. Elle se dit que, probablement, il avait une expérience passée qui le poussait à agir comme ça. Peut-être que lui aussi avait une forme de dette ? Est-ce que lui proposer de l’écouter en faisait partie, ou est-ce qu’il se disait que, si lui, dans la même situation, avait besoin de parler, elle devait ressentir quelque chose de similaire ? Elle eut un demi-sourire à cette idée.

Pas qu’elle veuille se moquer de lui. Vraiment pas. C’était juste que l’idée du léopard qui (certes, l’image de marchait pas trop) enlevait sa carapace, lui semblait tellement invraisemblable que ça la faisait sourire. Évidemment, elle savait très bien qu’il n’y avait presque aucune chance pour qu’il le fasse, mais ça valait le coup d’essayer, non ?

Elle aurait presque voulu lui parler d’Alexy, rien que pour la beauté du geste. Malheureusement, elle n’avait que trop conscience du fait qu’elle devrait probablement travailler avec lui à un moment ou un autre quand elle sortirait de l’académie. Elle ne voulait juste pas que tout ça soit mélangé.

- Merci beaucoup pour votre proposition, mais je ne ressens pas vraiment le besoin d’en parler. Et vous, quelle que soit la raison qui vous a poussé à me proposer ça, vous voulez en parler ? Je suis moi aussi capable d’écouter.

Ce qu’elle aurait fait si Alexy était encore là ? Honnêtement, elle n’en avait aucune idée. Elle n’avait pas de grand plan pour l’avenir à ce moment là, et elle ne savait pas du tout vers quelle filière elle se serait tournée. Plus que ça, elle ne savait pas du tout qui elle serait maintenant. Une grande partie de sa personnalité avait été forgée avec le départ d’Alexy.

- Honnêtement, je n’en ai aucune idée. Je ne sais même pas qui je serais maintenant sans cette dette.

Lesley cacha tant bien que mal son petit sourire triomphant. Même si elle n’avait pas réussi à mettre le léopard assez en confiance pour qu’il lui en parle, elle avait vu juste. Il y avait bel et bien quelque chose, dans son passé, qui l’avait poussé à agir comme ça.

Elle hésita un instant à creuser un petit peu plus et lui demander de quoi il s’agissait, de manière plus ou moins subtile. Puis elle se rappela du respect avec lequel il avait laissé tombé le sujet de sa dette à elle. Ce serait bien mal le remercier que de ne pas en faire autant.

Pourtant, elle avait comme le sentiment que ces choses-là, on avait toujours besoin d’en parler. Quand ce n’était plus le cas, ça ne revenait tout simplement plus sur le tapis et ça ne conditionnait plus nos actions. On n’en avait pas toujours envie, mais bon… Elle opta donc pour un air un peu sceptique, mais elle fit attention à lui faire comprendre qu’elle n’insisterait pas plus.

- Si vous le dites…

Elel prit le temps de méditer ce qu’il dit ensuite. C’est vrai qu’elle était très tournée vers le passé. IL y avait deux raisons principales à ça :

D’abors, parce que la mort d’Alexy avait été un si gros choc pour elle qu’elle s’était presque construite autour de cet événement. Avant ça, elle n’était pas vraiment elle. Enfin… ils étaient. Ensemble. Comme les deux moitiés d’une même personne. Elle avait comblé le vide laissé par son départ comme elle avait pu, mais une petite fille de 10 ans qui doit tout à coup apprendre, ou inventer, qui elle est, ça laisse des séquelles.

Ensuite, tout bêtement, elle ne savait pas comment faire. Pendant ses années de collège-lycée, ç’aurait peut-être été possible, mais elle ne s’en sentait pas du tout la force ou l’envie à ce moment-là. Maintenant, les gardiens étaient tout son quotidien. Ils étaient omniprésents dans sa vie et elle ne voyait pas du tout comment passer à autre chose.

Si lui avait réussi à passer à autre chose, peut-être pourrait-il lui monter comment faire ?

Elle secoua la tête et s’efforça d’oublier cette idée. Ce n’était même pas une option. Ils ne se connaissaient pas assez bien et, de toute façon, elle avait décidé de ne pas lui parler d’Alexy.

- Oui… C’est vrai que j’ai du mal avec ce point. Elle s’arrêta un instant pour réfléchir. Si vous permettez que je modifie un petit peu la question que vous m’avez posée, je crois que je pourrais y répondre. Si aujourd’hui, j'étais libérée de cette dette, je crois que je me tournerais peut-être vers les éclaireurs, pour des raisons assez similaires à celles que vous avez citées. Enfin… si ce n’était pas de telles têtes brûlées prétencieuses.

Lesley eut un petit demi-sourire. Elle n'avait qu’à moitié attention à ce qu’elle avait dit, trop concentrée sur le fait, eh bien… de trouver quelque chose à dire. Si la plupart de ses provocations depuis le début de la conversation étaient intentionnelles, celle-ci ne l’était pas vraiment. Ç’avait plus été comme un automatisme.

- Si vous le dites…

Elle prit un air à moitié convaincu.

- Mais il faut dire que tous les éclaireurs, s’ils ne sont pas des têtes brûlées, sont au moins un petit peu prétentieuses.

Elle lui lança un petit regard appuyé. Elle ne disait ça presque que pour garder la face, pour le principe. En fait, elle savait très bien que ça n’avait pas vraiment d’importance. Ce n’était pas les petites provocations futiles qui les intéressaient, ni l’un ni l’autre.

Son petit sourire s’effaça petit à petit et une expression perplexe prit place sur son visage. De ce qu’elle avait vu, le léopard était du genre à réfléchir, peser le pour et le contre, et ensuite agir. Il ne semblait pas être quelqu’un d’impulsif, ou à agir sous l’emprise des émotions. Alors… pourquoi lui disait-il tout ça ?

Elle se dit qu’elle ne le découvrirait probablement pas. Si ça ne lui semblait pas limpide, c’était probablement qu’il ne voulait tout simplement pas qu’elle comprenne ce qu’il pensait.

Elle eut un petit sourire triste, et hocha légèrement la tête. Elle comprenait exactement ce dont il parlait. Honnêtement, même si elle se garda bien de le montrer, elle était très impressionnée par son apparente facilité à en parler. Elle savait très bien qu’elle en aurait été incapable, et elle ne se voyait pas non plus le faire dans quelques années.

Elle se dit que, même si les épreuves qu’ils avaient subies ne pouvaient pas être si semblables que ça, leurs conséquences semblaient assez similaires. L’idée qu’il pourrait l’aider refit surface dans son esprit, mais elle fit un gros effort pour la renfouir. Il n’y avait aucune chance pour qu’elle trouve le courage de mettre sa fierté de côté et de lui demander de l’aide. Même si elle le faisait, il n’accepterait jamais.

Pourtant, elle tiqua à la fin de son explication. Quelque chose clochait. C’était bien beau de raconter sa peine, mais, même si ça la rassurait un peu de savoir que quelqu’un d’autre avait vécu des choses similaires aux siennes, ce n’était pas ce qui comptait vraiment. Le plus important, c’était de savoir comment en sortir.

- C’est très juste. Mais vous en êtes sortis. Comment ?

Une pointe de détresse failli percer dans sa voix, mais elle parvint à la réfréner à temps. Elle ne parvint pourtant pas à cacher la légère lueur d’espoir qui brillait dans ses yeux.

Lesley leva vaguement les yeux au ciel, l’air de dire qu’elle n'était pas d'accord, mais qu’elle lâchait tout de même le morceau. En vérité, elle n’avait qu’à peine écouté ce qu’il lui avait dit. Quelque chose à propos de fierté… Honnêtement, même si c’était elle qui avait lancé le sujet, elle n’en avait rien à faire, de savoir qu’elle était la meilleure branche de l’armée. Elle-même n’aimait pas particulièrement les gardiens.

Elle fit un gros effort, tandis qu’il parlait, pour garder un visage neutre. Quand il se tût, elle grissa furtivement ses mains en dehors du champ de vision du léopard. Que se passerait-il s’il s'apercevait qu’elle tremblait. Même s’il avait vu son mouvement, il ne saurait probablement pas deviner quelle en était la cause. Elle se força à afficher un sourire fébril.

Il ne pouvait pas savoir que, toutes ces questions, elle se les était déjà posées. Ce n’était pas les questions, le problème. C’était de trouver la force d’y répondre. Elle avait conscience du fait qu’elle avait construit sa vie autour d’un fantôme. Mais, si elle admettait que ça n’avait aucun sens, tout s'éffondrerait.

Elle prit une grande inspiration et baissa les yeux. Ça ne pouvait pas se voir, mais son esprit était en ébuliton. Même si elle savait déjà plus ou moins ce qu’il lui avait dit, qu’il fallait se rendre compte que ce n’était pas ce qu’Alexy aurait voulu, et caetera, de se l’entendre dire donnait à tout ça un certain poids. Elle secoua légèrement la tête.

Elle fit semblant de ne pas repérer la proposition d’aide dans la dernière phrase. Il fallait qu’elle se reprenne. Elle n’avait pas besoin d’aide. Elle allait bien. Sa vie avait un sens. Ce n’était pas un inconnu qu’elle ne connaissait que depuis un peu plus de deux heures qui allait la faire douter de ça.

Il fallait qu’elle change de sujet, sinon elle allait à nouveau perdre le contrôle d’elle-même. Il lui fallait quelque chose à dire. Quelque chose d’anodin. Qui n’avait aucun lien avec Alexy, les gardiens, l’armée en générale ou quoi que ce soit d’autre d'important.

- C’est quoi, votre prénom ? Après tout ça, vous pouvez au moins me le dire, non ?

Elle se força à reprendre contenance et réenfiler son masque. Quand il aurait répondu, ils pourraient enchaîner sur un sujet ou un autre, sans le moindre impact ou poids. Parfait.