Mara avait tout juste 18 ans, et elle en profitait. Elle n'aimait pas être saoule, et détestait les conséquences de cet état le lendemain, mais elle n'était pas contre la douce chaleur et l’effet détendant de l'alcool en quantité raisonnable.

Elle ne sortait pas souvent, et ce n'avait pas été son intention précise ce soir là. Elle était sortie prendre l'air et se balader dans la capitale, et ses pieds l'avaient conduits presque d'eux même sans qu'elle s'en rende compte, devant le bar dans lequel elle aimait bien aller une fois de temps en temps. Il était accueillant et les boissons étaient à un prix raisonnable sans pour autant être d'une qualité trop exécrable, ce qui était un gros argument pour elle.

Quand elle était entrée, il était déjà assez tard, et une grande partie des habituées du bar étaient là depuis un moment et avaient descendu un nombre variable de bières ou alcools plus forts. Certains devaient déjà voir double et riaient fort, là ou d'autres avaient fait preuve de plus de retenue. Elle s'assit au comptoir.

Quand sa tête commença à tourner un petit peu, elle décida de sortir du bar et d'aller prendre l'air un petit peu. Elle avait encore l'esprit clair, car elle tenait assez bien l'alcool, mais sentait le mal de tête pointer.

Elle vit du coin de l’œil un groupe d'amis (masculins bien sûre) sortir d'une boite de nuit près du bar. Certains d'entre eux ne marchaient plus très droit, et ils sentaient l'alcool fort. L'un d'eux, qui semblait  être leur chef, et qui avait un peu moins bu que les autres, la pointa du doigt, et dit quelque chose qu'elle ne put entendre, mais qui parut beaucoup plaire à ses amis.

Ils commencèrent à la suivre, jusqu'au moment où ils lui bloquèrent le passage, dans une rue moins fréquentée. Quand le chef lui annonça qu'ils allaient s'amuser un peu ensemble, elle soupira et se massa la tempe d'une main. Une autre raison pour laquelle elle ne sortait pas souvent...

Tout à coup, une femme qui sortait d'un autre bar de la rue, se dirigea vers eux. Elle les réprimanda, un peu comme si elle était leur mère, et leur dit de éloigner et d'arrêter de l'embêter. Elle les menaça d'appeler les autorités, mais ça ne sembla pas les émouvoir particulièrement. Ils devaient se dire qu'elle n'en aurait pas le temps, et qu'ils avaient gagné un casse-croûte de plus. La femme ne sembla pas s'en rendre compte.

Mara lui sourit. Un sourire ni amical ni hostile. Pas un sourire condescendant. Un sourire pour lui faire savoir qu'elle pouvait se débrouiller toute seule.

"Mets lui une droite dans la mâchoire"

L'ordre mental claqua. Seul son destinataire, le jeune homme qui se tenait à la droite du chef, l’entendit. Il s’exécuta immédiatement.

Le coup partit sans que personne ne s'y attende et atteint sa cible. Le chef fit quelques pas sur le côté, surpris par le choc. Comme elle s'y attendait, il riposta dès qu'il eut repris ses esprits par un coup de poing dans l'estomac de celui qui l'avait frappé. Alors qu'il s’effondrait sous le coup de la douleur, un autre vit prendre sa défense et donna un coup de pied dans le tibia. De la même manière, petit à petit, tous les membres du groupe entrèrent dans la bagarre et ils formèrent bientôt une mêlée confuse. Ils oublièrent ainsi la présence de Mara et de l'inconnue.

Elle se tourna vers la femme. Elle lui fit un grand sourire, et inclina la tête de manière sarcastique.

- Merci beaucoup, madame.

Mara fut très surprise que la bande, à part bien sûr celui qui était étendu par terre, inconscient,  déguerpisse ainsi, devant ce qu'ils considéraient comme un bout de viande de plus quelques minutes plus tôt. Ça devait être à cause du ton sévère de son ordre. Ou peut être l'aura de danger qu'elle dégageait à présent.

Mara ne lâcha pourtant pas de son sourire insolent. Ce n'était pas un ton un peu sec ou une posture légèrement offensive qui allait lui faire peur. Elle était une grande fille, et n'avait pas peur d'une inconnue qui avait l'air de se prendre pour sa mère.

Intérieurement, elle se dit qu'il y avait en fait très peu de chances pour que la femme sache vraiment se battre. Vu la manière dont elle se tenait, elle avait au moins des bases, mais probablement pas plus. Elle avait l'air de se considérer comme très dangereuse et intimidante. D'après l’expérience de Mara, ces gens là avaient tendance à penser que l'intimidation suffisait, et qu'ils n'avaient pas vraiment besoin d'apprendre à se battre. Ils étaient souvent trop confidents et flemmards pour apprendre quelque chose dont ils ne pensaient pas avoir besoin un jour.

Le sourire de Mara s’agrandit encore quand elle vit l'expression de la femme quand elle la regarda. Elle devait vraiment penser qu'elle était ingrate. Pourtant, elle ne voyait pas trop pourquoi elle devait se montrer reconnaissante. Elle ne lui avait pas demander de voler à son secours, pour autant qu'elle sache. Elle pouvait se débrouiller toute seule. Et elle n'avait rien fait pour l'aider. Elle aurait pu partir pendant qu'ils se battaient, et il n'y aurait pas eu de problème. Ils se seraient occupés eux même de leur ami blessé.

- Je n'ai rien, merci. Par contre, je vais vous aider à le porter jusqu'à l'hôpital. dit-elle en pointant le jeune homme étendu par terre. Sauf votre respect, je pense que vous allez peut-être avoir besoin d'un peu d'aide pour le porter jusque là. Et puis, ça reste de ma faute s'il est dans cet état...

Mara ne regrettait pas le moins du monde d'avoir déclenché cette bagarre. Elle considérait que, s'ils l'avaient agressée, ils l'avaient méritée. Ce n'était pas la première fois qu'elle utilisait ce genre de techniques. On pouvait croire que c'était lâche, mais elle utilisait juste les armes à sa disposition, et évitait les terrains sur lesquels elle se savait perdante, comme le combat à mains nues à six contre une ou les jeux d'intimidation.

Mais ce n'était pas parce qu'elle ne regrettait pas qu'elle ne se sentait pas responsable. Elle savait très bien que c'était de sa faute, et de sa faute uniquement, s'il avait le nez cassé. Et elle n'était pas du genre à fuir ses responsabilités. Si elle était la cause, elle aiderait à faire face aux conséquences. Elle aiderait donc l'inconnue à porter le jeune homme jusqu'à l'hôpital. C'était pas comme si elle avait autre chose à faire de sa nuit, il devait être trop tard pour rentrer à l'académie.

Elle se plaça de l'autre côté du garçon, pour aider l'inconnue à le porter, et commença à marcher vers l'hôpital. Elle marcha en silence pendant un moment, profitant de Raiven et de son ambiance, malgré le jeune homme, qui pesait plus lourd que ce qu'elle aurait cru. Au bout d'un moment, elle se tourna vers l'inconnue. Quitte à marcher avec elle, autant discuter.

- Je suis Mara. Et vous êtes...

Mara étouffa la remarque cinglante qui s'apprêtait à franchir ses lèvres. Elle prit une longue inspiration. Pour qui se prennait cette femme ? Elle la considérait comme une petite ingrate, et Mara avait quand même fait un effort et lui avait proposé son aide pour emmener le jeune homme inconscient à l'hôpital. Proposition qui avait été déclinée avec un argument de taille. Certes, elle avait raison de dire que Mara ne serait pas d'une grande aide, voir une gêne, mais ça n'empêcherait pas celle-ci de se vexer, même si elle avait décidé de ne pas le montrer. Elle avait néanmoins une immense envie de l’étriper. Mais elle ne le ferait pas. Tout simplement parce qu'elle savait pertinemment qu'elle ne pourrait pas porter l’inconscient à l'hôpital toute seule. Elle prit une autre grande inspiration. Il fallait qu'elle se calme.

Reiko... Mara ne pensait pas qu'elle avait déjà croisé quelqu'un avec ce nom, en tout cas pas depuis un moment. Elle se pencha un peu et regarda la femme, Reiko. Étrangement, elle se dit que son visage lui disait irrémédiablement quelque chose. Lui rappelait quelqu'un. Mais impossible de trouver qui. Elle scruta son visage quelques instants, avant détacher son regard. Elle haussa les épaules. Ça devait juste être une impression.

Un sourire mélancolique se peignit tout à coup sur le visage de la femme. Mara fronça les sourcils. Qu'est-ce qui pouvait bien l'attrister autant dans le simple fait de se présenter ? Mais il partit aussi vite qu'il était venu.

Elle semblait lui demander des idées d'activités nocturnes plus pour détourner l'attention de son moment de mélancolie que pou avoir de réels conseils. Heureusement, parce que Mara n'en avait aucune foutu idée.

- Désolée, mais je ne peux pas trop aider sur ce point là. Je sors plutôt en journée d'habitude.

Mara jeta un coup d’œil à sa montre tout en parlant. Ses yeux s’écarquillèrent. Elle allait payer cette soirée le lendemain, pendant les cours et les entraînements. Même si elle n'avait pas trop bu, elle allait peut être bien se trimbaler un sacré mal de tête. Et même dans le cas contraire, le manque de sommeil n'était pas conseillé juste avant une journée principalement constituée d’entraînements. Elle poussa un soupire d'abattement. En cet instant, la plus belle des perspectives qui se profilaient était son lit douillet dans lequel elle pourrait se jeter, ou plus précisément se laisser tomber, jusqu'au lendemain matin.

Elle tourna la tête brusquement vers Reiko. Elle venait de lui demander si elle avait un endroit où dormir. Elle ferma les yeux un instant. L'académie fermait ses portes la nuit. Elle avait totalement oublié, même si elle le savait. Elle n'avait juste pas fait le lien. L'image du lit douillet vola en éclats dans sa tête.

- Pas vraiment...

Sa voix ne traduisait pas vraiment de l'abattement. Plus une sorte d'incrédulité. Elle regarda autour d'elle en cherchant une solution. Bizarrement, c'était la première fois que ça lui arrivait. D'habitude, elle ne restait pas aussi tard dans la ville toute seule, et quand elle était avec des amis, elle pouvait toujours loger chez eux. Ce petit incident avait été un plus gros contretemps que ce qu'elle avait prévu. Et elle n'avait pas du tout réfléchi à une solution en cas de problème. Dans son esprit, ce genre de choses n'arrivaient qu'aux autres.

Elle n'avait pas assez d'argent pour se payer une chambre pour la nuit. Bien sûre. Elle s'était dit que si quelqu'un lui volait son porte-monnaie, il ne pourrait au moins pas en retirer grand chose. Elle soupira. Elle n'avait pas non plus d'amis qui pourraient l'abriter pour la nuit. Elle n'avait que très peu d'amis d'enfance, et elle ne leur avait plus parlé depuis des années. Elle envisagea de retourner chez elle, avec son frère. Elle secoua la tête. Il était hors de question qu'elle mendie un abri à son père ne serait ce que pour la nuit.

Elle se tourna vers Reiko, lentement. Elle se rendait compte de l'ironie de la situation. Elle s'apprêtait à demander de l'aider à la femme qui la trouvait horriblement ingrate.

- Vous savez où je pourrais passer la nuit ?

Que ce soit claire, Mara ne demandait pas à Reiko de la loger ou de la financer. Elle ne se le serait jamais permise. En plus, elle avait parfaitement conscience du fait qu'elle avait été tout bonnement odieuse, même si elle n'en avait pas honte. Elle demandait juste si elle connaissait un endroit fréquentable et peu cher, ou un autre endroit où dormir. Au pire, elle pouvait toujours faire une petite nuit blanche. Pas idéale, mais faisable.

Mara fronça les sourcils. Est-ce qu’elle devait parler de son père à Reiko ? Elle se dit que, de toute façon, ça ne rentrait pas dans le cadre de la discussion. En plus, elle ne voulait absolument pas en parler. Elle soupira, et se força à se souvenir du fait qu’elle connaissait la femme depuis très peu de temps. Elle ne devrait même pas se poser la question. Elle avait un peu trop tendance à considérer que toutes les personnes avec qui elle avait parlé plus de 5 minutes étaient dignes de confiance, et ses meilleurs amis ou ennemis.

-  J’ai pas de famille ici, non...

Elle réfléchit un instant. Pas aller en cours demain… voilà une idée des plus séduisantes. Elle dût faire un gros effort pour se rappeler à l’ordre. Déjà qu’elle avait séché, non... fui, le cours de math plusieurs fois ces derniers temps, si elle ne venait pas en cours, ça commencerait à avoire l’air suspect.

Quant au binôme… Elle réfléchit un instant. D’un côté, elle était à peu près sûre que Taylor saurait parfaitement comment la faire rentrer, de l’autre, elle n’était pas sûre de la réaction de celle-ci quand elle l'appelerait pour lui demander de l’aide. Elle secoua la tête. Elle n’avait aucune idée de la réaction qu’elle aurait, mais elle ne serait certainement pas ravie. Et en plus, elle ne voulait pas ternir son image auprès de sa binôme. C'était futile, certes, mais c'était le cas. En tout cas, elle préférait éviter, si possible.

Pourtant, elle ne se sentait pas exactement à l’aise avec l’idée de loger chez la femme. Pas parce qu’elle ne lui faisait pas confiance. Plutôt parce qu’elle ne se sentait pas en position de demander une faveur. On ne pouvait pas exactement dire qu’elle avait été adorable avec Reiko.

-  Je préfère ne pas demander à ma binôme. Je ne suis pas sûre de la manière dont elle réagirait. Si je pouvais emprunter votre chambre…

Elle fixa le sol un moment. Elle devrait peut-être juste botter en touche et dire qu’elle pouvait se débrouiller. Mais la femme ne lui aurait pas proposé de l’héberger si elle avait voulu qu’elle refuse, si ? Elle se dit que, si elle s’excusait, ça pourrait peut-être passer. Mais elle ne voulait pas s’excuser alors qu'elle n’était pas le moins du monde désolée. Elle se contenta à la place d’un pathétique:

- S’il vous plaît…

Elle espérait que ça suffirait, que Reiko ne la trouverait pas trop culottée de lui demander une faveur.

Effectivement, présenté comme ça, elles ne devaient pas paraître très proches, là où Mara savait qu’elles l’étaient à peu près autant que c’était possible de l’être avec Taylor. Elle soupira légèrement. Décidément, contrôler l’image qu’elle donnait n’était vraiment pas son fort.

- Oui, on se connait depuis la sixième.

Mara fronça légèrement les sourcils, puis se frappa le front. Evidemment ! Taylor n’allait pas s’inquiêter parce que, maintenant qu’elle y réfléchissait, elle était à peu près certaine qu’elle était elle aussi de sortie cette nuit-là. Elle ne s’en était pas souvenu, eh bien… parce qu’elle n’avait pensé qu’à sa pomme, comme d’habitude, mais elle s’en souvenait maintenant. Ne voulant pas se sentir coupable, elle mit mentalement ça sur le compte de l’alcool.

Pourtant, elle n’avait pas envie de perdre la face devant Reiko. Elle se dit qu’il valait mieux passer pour pas très proche de sa binôme que pour une garce qui n’est même pas capable de faire l’effort de se souvenir quand sa coloc sort pour la nuit, alors qu’elle a prévenu. Elle se dit, pour se donner bonne conscience, que de toute façon Reiko et Taylor ne se rencontreraient probablement jamais.

Mais il était difficile de camoufler sa révélation maintenant qu’elle s’était assez ostensiblement frappée le front. Elle soupira et chercha un mensonge à moitié crédible.

-  Je viens de me rappeler que j’ai oublié mon portefeuille dans le bar ! Tant pis, y’avait pas grand chose dedans de toute façon.

Elle nota dans un coin de sa tête qu’il fallait vraiment qu’elle demande à quelqu’un de lui apprendre à mentir. En plus, elle devait sortir un autre mensonge pour répondre à la question de la femme.

-  Elle n’est pas vraiment du genre à s’inquiéter…

Mara sourit légèrement en entendant qu’elle serait bientôt au chaud. Enfin ! Quand elle releva la tête, son sourire s’agrandit. Elles étaient littéralement à quelques pas de l’hôpital. Elles y étaient presque ! Et après, au chaud ! Elle tenta de ne pas trop montrer son impatience, mais comme pour le mensonge quelques instants plus tôt, elle échoua lamentablement.

-  On y est !

Elle allait probablement laisser la femme remettre le jeune homme aux médecins en se tenant un peu en retrait, sauf si elle lui demandait le contraire. Elle ne se sentait pas trop de gérer tout ça, là maintenant tout de suite.

Mara fût un peu surprise par la question de la femme. Elle avait l’air de plut bien connaître le fonctionnement de l’académie dites donc. Peut être qu’elle y avait fait ses années de collège-lycée ?

- Oui.Taylor a un an de plus que moi, mais ça fait 5 ans qu’on est en binôme.

La jeune fille eut la vague impression que Reiko avait parfaitement compris qu’elle lui avait menti quelques instants plus tôt, mais comme elle ne commenta pas, elle préféra laisser filer. Elle attendit patiemment que Reiko remette le jeune homme toujours inconscient aux médecins.

Elle voyait très bien les regards perplexe que ceux-ci leur lançaient, à elle et à la femme, mais elle commençait à être trop fatiguée pour en avoir quelque chose à faire.

Un sourire éclairait son visage quand la femme lui annonça que la chambre n’était qu’à dix minutes de là. Elle n’avait jamais vraiment été un oiseau de nuit, et même si ça allait encore, elle savait que les effets de la fatigue ne seraient pas longs à se faire sentir.

Elle tenta d’ailleurs d’étouffer un petit bâillement, avec un succès modéré, alors qu’elles se remettaient en route. Elle n’avait pas trop envie que Reiko la voit commencer à fatiguer. Pourquoi ? Elle ne le savait pas vraiment. Probablement une histoire de fierté, mais comme toujours, c’était inconscient chez elle et elle ne s’en rendait qu’à moitié compte, voire pas du tout.

- Tant mieux !

Elle avait vraiment hâte d’être au chaud ! Elle était entrain de rêvasser d’un bon lit douillet quand une pensée lui traversa l’esprit. Pourquoi est-ce que Reiko avait une chambre au milieu de Raiven au juste ?

- Comment ça se fait que vous ayez acheté une chambre ici ? Ça a dût être hyper cher, non ?

Elle fronça les sourcils à la pensée du prix que ça avait dû coûter. Evidemment, à son échelle à elle, toutes les sommes paraissaient immenses, mais là… Elle n’avait pas de chiffre précis en tête, juste l’idée d’une somme exorbitante. Il fallait avoir une bonne raison, ou beaucoup d’argent, pour débourser un montant pareil, non ?

Mara acquiesça doucement. Elle se fit la réflexion que quand elle arriverait à la faculté et qu’elle devrait changer de binôme, ce ne serait vraiment pas facil. Ça ferait vraiment bizarre de ne plus avoir de gros chat avec elle… Elle sourit légèrement.

Elle releva distraitement ce que Reiko avait dit sur sa famille.

- Vous avez une fille ? Elle est à l'académie ? Peut-être que je la connais…

Elle entra dans la maison de Reiko. Honnêtement, elle ne s’attendait pas du tout à ça. Là où elle pensait trouver une simple chambre de bonne, il y avait en fait une petit maison. Elle se demanda tout à coup quel était le métier de Reiko. Probablement quelque chose qui payait assez bien, vu notamment la maison et la qualité de la serrure. Pourtant, elle n'osait pas vraiment poser la question. La femme venait déjà de lui faire plus ou moins comprendre que demander le prix de la maison était assez indiscret, alors enchaîner sur une question en rapport avec son salaire paraissait franchement maladroit. Pas que ça empêche quoi que ce soit chez Mara d’habitude, mais elle ne voulait pas la harceler là où elle était déjà assez sympa pour la loger.

Elle préféra se concentrer sur la nouvelle problématique du moment. Douche ou pas douche ? Elle hésita un long instant. D’un côté, elle savait qu’une doucher serait la bienvenue et qu’elle en avait franchement besoin. De l’autre, elle était fatiguée et avait vraiment la flemme.

Elle se décida enfin quand elle se dit qu’elle devrait partir plutôt tôt le lendemain matin. Elle ne voulait surtout pas être un poids pour Reiko pendant toute la matinée. Peut-être qu’elle avait des choses prévues. Elle arriva à la conclusion que prendre sa douche maintenant lui gagnerait quelques minutes de sommeil le lendemain matin.

- Je crois que je vais prendre une douche rapide, si ça ne vous dérange pas trop.

Mara s’engouffra dans la salle de bain presque sans attendre la réponse de la femme. Si elle avait proposé, c’était que ça ne la dérangeait pas, si ? Elle essaya de se dépêcher, mais n’y arriva qu’à moitié. L’eau chaude lui faisait tellement de bien !

Quand elle réussit à s’extirper de là, elle se sécha et se rhabilla en vitesse. Elle sortit doucement de la salle de bain, se demandant où était Reiko. Evidemment, elle ne se souvenait plus du tout de quelle porte la femme lui avait désignée comme celle de la chambre qu’elle pouvait occuper. Ne voulant pas ouvrir des portes au hasard et se montrer à nouveau indiscrète, elle resta un moment plantée au milieu du couloir, totalement désorientée. Puis, d’une petit voix, elle appela :

- Reiko ?

Alors que Reiko parlait, Mara réfléchissait à toute allure. Qui pouvait bien être la fille de la femme qui avait si gentiment accepté de l’héberger ? Elle ne connaissait absolument pas tous les étudiants de la faculté, même pas la majorité d’entre eux, mais on ne savait jamais. Sur un coup de chance, elle la reconnaîtrait peut-être.

Des étudiants qu’elle connaissait, la plupart qu’elle connaissait étaient des garçons, ce qui réduisait encore une fois les recherches. Elle se basa surtout sur le physique de Reiko. Plutôt grande, cheveux blancs, yeux dorés… Evidemment, elle ne cherchait pas non plus son clone, cette fille devait bien avoir un père, et pouvait très bien lui ressembler plus qu’à sa mère.

Pourtant, après quelques instants passées à mordiller la lèvre, elle ne voyait toujours pas. L’alcool ne devait certes pas aider pour ce genre de recherches, mais bon… Quand elle entendit que ce n’était pas sa fille biologique, ça devint un petit peu plus clair. Du coup, elle n’avait presque aucune chance de trouver qui était l’enfant de Reiko.

Elle réfléchit encore un instant, essayant de voir s’il n’y avait pas des gens qu’elle connaissait qui avaient perdus leur mère. La seule personne qui lui vint à l’esprit, c’était Ashley, mais ça ne semblait pas vraiment coller. Déjà, si elle se souvenait bien, elle avait dit que sa mère avait disparut de l’autre côté du dôme protecteur. Même si sa motivation pour devenir éclaireuse était de la retrouver, il semblait peu probable qu’elle ait survécu aussi longtemps. Ensuite, rien que le caractère de la blonde. C’était juste que… elle semblait bien trop énergétique et pleine de vie pour avoir été élevée par quelqu’un d’aussi calme que Reiko.

Techniquement, Mara n’en savait absolument rien. Ce n’était pas non plus comme si elle connaissait Reiko depuis longtemps, ou qu’elle avait passé beaucoup de temps en compagnie d’Ashley. Mais c’était juste qu’elle avait l’impression que ça ne collait tout simplement pas.

Pas une seule seconde, pendant toute sa réflexion, elle ne se dit que Reiko ne voulait peut-être pas qu’elle sache. Pour elle, ça paraissait évident que, si elle ne voulait pas qu’elle cherche, elle n’en aurait tout simplement pas parlé. Mara et les sujets sensibles…

Une fois qu’elle eut identifié qu’elle ne connaissait probablement pas la fille de Reiko, elle passa totalement à autre chose. Elle réfléchit un instant à la question de la femme. S’il y avait autant d’orphelins venant de l’extérieur qu’avant ? Honnêtement, elle n’en savait un peu rien du tout.

Si, la plupart des gens qu’elle connaissaient avaient perdus au moins une personne de leur famille à l’extérieur, voir avaient été retrouvés là-bas. Elle n’en faisait pas partie, mais sans même y réfléchir, elle pouvait citer pas mal de gens. Certes, une grande partie n’étaient techniquement pas orphelins, mais perdre un frère, ça ne revenait pas au même en fait ? Elle haussa légèrement les épaules.

-  Je sais pas… Maintenant, ça reste une grosse majorité des gens au lycée, et je connais pas bien les étudiants. Mais bon, je sais pas comment c’était avant, donc je peux pas trop comparer.

Mara prit ensuite sa douche. Quand elle en sortit, elle était totalement déboussolée, et ne se souvenait même pas de la pièce que Reiko avait désignée comme celle où elle pourrait dormir. D’une petite voix, elle finit par appeler celle-ci, pour qu’elle l’aide.

La jeune fille sursauta quand la femme surgit plus ou moins de nulle part. Elle s’attendait au moins à un bruit de porte, mais non. Elle se retourna pour lui faire face, et tenta de cacher du mieux qu’elle put qu’elle avait eu peur. Ce n’était pas gagné, mais bon…

Elle prit un instant pour regarder autour d’elle. On ne savait jamais, peut-être qu’elle allait avoir une illumination soudaine en voyant un des portes. Mais non, rien. Elle se résolut donc à poser la question directement à Reiko.

Honnêtement, elle n’aimait pas trop passer pour une demeurée comme ça, à se perdre dans une maison. Si elle avait eu le choix, elle aurait vivement préféré se débrouiller toute seule. Pourtant, elle ne voulait pas se montrer indiscrète, à ouvrir toutes les portes en espérant tomber sur une chambre. Et puis, même si elle la trouvait, elle comment aurait-elle pu être sûr que c’était celle que la femme lui avait désignée.

-  Euh… c’est pas que je suis perdue, mais… je suis un peu désorientée. C’est laquelle, la chambre que vous m’avez montrée ?

Elle fixa le sol pendant toute la durée de sa déclaration. Croiser le regard des gens, c’était la pire partie, quand on avait déjà l’impression de passer pour une idiote. Elle examina donc le parquet avec pas mal d’insistance, pour ne relever les yeux que quand elle eut fini de parler.

Pour être franc, elle devait avoir l’air d’un petit enfant prise la main dans le sac à faire un bêtise. C’était un peu comme ça qu’elle se sentait, donc ce n’était pas vraiment surprenant. Pourtant, ça ne voulait pas non plus dire qu’elle appréciait cette position.

Mara eut encore un petit sourire penaud quand la femme lui montra la chambre. Vraiment, il faudrait qu’elle apprenne à faire un effort pour être moins tête en l’air. Remarque, sur ce point là, l’alcool ne devait pas aider non plus.

Au moins, ça ne semblait pas avoir trop dérangé Reiko. Mara ne savait pas ce qu’elle avait fait pendant qu’elle prenait sa douche, et ce n’était pas vraiment ses affaires, elle n’avait apparemment pas souffert de interruption. Elle semblait même assez amusée par la distraction de Mara.

Pour être honnête, elle ne prêta qu’à peine attention à l’amusement de la femme. Après sa douche, et maintenant qu’elle se savait si près d’un lit, toute la fatigue lui tombait dessus. Rien que l’alcool aurait été suffisant, mais utiliser son pouvoir l’avait épuisée encore plus. Elle n’avait rien fait de bien compliqué avec, mais ça restait largement suffisant pour qu’elle ne relève pas l’expression de Reiko.

- Bonne nuit à vous aussi.

Elle avait regardé la femme en parlant, se retenant de lorgner le lit depuis le seuil de la chambre. De toute façon, ça devait se voir qu’elle avait très envie de dormir. Elle essayait de rester plus ou moins aimable et polie, mais bon…

- Merci beaucoup, mais je pense que ça ira. Et encore merci de me laisser dormir ici

Sur ce, avec, un dernier sourire à Reiko, elle disparut dans la chambre qu’elle lui avait indiqué. Même si la femme avait voulu lui dire quelque chose de plus, c’était trop tard. Tournant le dos à la porte, elle fixa le lit avec contentement.

Elle mit rapidement une alarme sur son portable pour le lendemain matin, histoire d'éviter de dormir jusque 13h, avant de s’écrouler sur le lit. Dans les 30 secondes, elle dormait profondément. Elle serait probablement impossible à réveiller avant le lendemain matin.